Ma cécité, la chance de ma vie….

Photo d'une vue du château de Montségur

Michel GARCIA né en 1968 en Ariège région Occitanie, avec une rétinite pigmentaire, je suis kinésithérapeute et exerce seul en libéral dans ma région de naissance en milieu rural.

Je vais vous raconter mon parcours afin de vous démontrer que malgré les difficultés il est possible d’arriver à avoir une vie digne, agréable, honorable et somme toute ordinaire.

Tout d’abord, mon histoire commence dans une campagne pyrénéenne dans une famille d’ouvriers très modestes. Il faut savoir que dans les années 60 dans ces milieux-là, les enfants ayant leur certificat d’étude ou l’âge légal pour arrêter l’école, étaient envoyés par leur famille dans les usines textiles. Car dans ma région, c’étaient les plus gros employeurs qui embauchaient rapidement et à tour de bras. De l’autre côté, dans les familles, il fallait faire bouillir la marmite. Ils étaient à la fois ouvriers et petits paysans. C’est-à-dire, le matin ils étaient derrière les machines et l’après-midi au champ. Vous imaginez bien que dans un tel contexte avoir un gamin avec une grosse déficience visuelle, cela allait être compliqué.

ET en effet !

Après qu’on eut découvert à l’âge de 3, 4 ans ma pathologie, mes parents décidèrent de me mettre à l’école du village. Bien évidemment cela ne se passa pas bien du tout. Entre les enseignants qui n’avaient pas les moyens pédagogiques et la cruauté des mômes, je n’arrivais pas à m’intégrer. Néanmoins, les instituteurs ne restant pas les bras croisés, et connaissant bien la famille puisque mes frères et sœurs étaient déjà passés par la même école, orientèrent mes parents vers le milieu spécialisé à Toulouse soit une centaine de kilomètres de chez moi.

Ni une ni deux, me voilà parti sur Toulouse. Au début, cela fût compliqué car mes parents n’avaient pas de voiture. L’une de mes sœurs venait tout juste d’avoir le permis. Grâce à l’entraide des amis de la famille, et oui à l’époque les gens s’avaient s’entraider, ils parvinrent à me faire faire de petits séjours d’intégration. Tout d’abord et très progressivement j’ai pris possession de mon nouveau milieu qui était l’école spécialisée. Et là fini les soucis pour ma famille !

Et moi dans tout ça ?

À partir du moment où j’avais adopté mon nouvel environnement et mes nouvelles conditions de vie, c’est-à-dire l’internat, même si j’ai passé parfois quelques week-ends à errer seul comme une âme en peine dans l’établissement, la chance m’a souri !

Entre l’apprentissage du braille, de la locomotion, des activités que l’on faisait avec l’équipe éducative telles que bricolage, sport, ski, vélo, natation et même équitation pour ceux qui avaient les moyens, plus les voyages scolaires, les sorties culturelles et sans compter la sacro-sainte instruction, je commençais à avoir les outils en main pour acquérir une certaine autonomie.

Ensuite, en route pour le lycée !

Là, même combat, mêmes moyens pédagogiques pour les enseignants, même état d’esprit pour l’équipe éducative extra-scolaire. C’est-à-dire, bienveillant, confiant, parfois un peu à la dure car ils estimaient que la vie n’allait pas être de tout repos. J’étais toujours en internat mais pas qu’avec des camarades déficients visuels. En effet cet établissement accueillait également des déficients auditifs et d’autres avec une déficience psychomotrice. Quel beau mélange ! Les élèves venaient de toutes les régions de France et d’outre-mer.

J’y ai vécu une adolescence classique, les premières amours, les premières fêtes, les premiers restaurants, vélo, canoë, voile, camping, j’en passe et des meilleures… Enfin bref, j’y ai vécu toutes les premières fois que peut vivre un ado. Ce que je n’aurais pas pu sûrement faire si j’étais resté dans le cocon familial.

Cette structure avait une particularité. En effet, à partir de la 3e, les internes vivaient en appartement de 6 à 8 élèves par hébergement. On nous y apprenait tout ce qu’il fallait savoir pour gérer la vie au quotidien. Cuisine bien sûr, ménage, gestion d’un budget pour les courses et aller les faire. Et côté moins sérieux, vous pouvez largement imaginer la foire qu’on a pu y faire. Enfin bref l’apprentissage de la vie quoi ! En 1re, on était logé dans des appartements collectifs situés à l’autre bout de Toulouse. On avait la possibilité de s’y rendre soit par un transport organisé par le lycée ou par nos propres moyens. C’est-à-dire, transport en commun alors que certains étaient mineur. Les éducateurs voulaient absolument nous responsabiliser et nous faisaient confiance. Et en terminale, les élèves majeurs étaient en appartement individuel dont j’ai pu bénéficier puisque j’ai redoublé.

Ce qui a été également extraordinaire, c’est la découverte des balbutiements de l’informatique adaptée. En effet, à la fin des années 80 sortaient les premiers bloc-notes en braille dans lesquels il fallait saisir des codes spécifiques pour la mise en forme du texte. Ce qui nous préparait à l’utilisation d’ordinateurs PC sous DOS.

Et enfin durant cette période de ma vie, j’organisais les soirées de fin d’année et autres joyeusetés au début, avec les éducateurs. A la fin j’étais seul responsable et animais toutes les soirées de l’établissement. Ce qui m’a beaucoup passionné en tout cas plus que les études.

Et côté projet professionnel me diriez-vous, c’était bien sûr la kinésithérapie ! Mais manque de bol, en termes de conseil d’orientation, j’étais aussi bien entouré que tous ceux qui avaient été aussi mal conseillés que moi. En effet, on m’a dissuadé de faire ce métier car soi-disant il n’était plus accessible aux non-voyants.

Après avoir obtenu un bac sciences économiques et sociales, ne sachant pas quoi faire de ma carcasse, j’ai fait ce que je savais faire de mieux. Et devinez quoi, j’ai été DJ mobile pendant 10 ans dans l’espoir de devenir ingénieur du son. Malheureusement les mentalités étaient trop fermées pour qu’on m’accepte dans une formation.

Après 10 années de bons et loyaux services, et un ras-le-bol général du métier de DJ, je suis retourné à mes premières amours. Et c’est en 1997 que j’ai entamé les démarches pour rejoindre en 1998 l’IFMKVH Paris et obtenir mon diplôme en 2002. A la suite de quoi, Paris m’ayant dégoûté de la ville, je suis retourné bosser dans mon Ariège natale, au sein de ma famille sans les parents bien sûr, mais avec toujours le même état d’esprit de solidarité et d’entraide.

J’ai exercé pendant deux ans et demi en milieu hospitalier en gériatrie et au sein d’un EHPAD. Le personnel était déjà sensibilisé à la problématique de la déficience visuelle. Ce qui m’a permis d’emblée de travailler de manière très sereine avec le reste du personnel car il y avait un bon esprit, et surtout des codes de fonctionnement tel que le rangement des chariots de soins d’un côté précis du couloir ou tout simplement, quand j’avais besoin d’un avis visuel l’équipe répondait présente. Mais je m’y suis rapidement ennuyé car je faisais beaucoup de « marchothérapie » et de la rééducation respiratoire. Et un jour rentrant de vacances, j’ai pris un tir injustifié parce que je venais juste demander des précisions sur l’état d’un patient. Suite à quoi, j’ai démissionné car entre le fait d’avoir 4 ans d’études pour faire marcher et respirer des gens, et la mauvaise ambiance qui régnait entre les équipes soignantes et l’encadrement, je me suis dit que cela suffisait et que je voulais voler de mes propres ailes ! J’ai prospecté auprès de mes collègues libéraux et n’ai essuyé que des refus.

Enfin, entre le montage du dossier financier et la recherche d’un local, il m’a fallu un an pour créer mon propre cabinet dans lequel j’exerce toujours.

Ainsi la boucle est bouclée !

REMERCIEMENTS :

Pour en être arrivé à ce que je suis aujourd’hui, libre, indépendant, voyageur et curieux c’est grâce :

  • À ma famille d’abord qui a eu le courage de se séparer de moi le temps de la scolarité.
  • Aux enseignants qui m’ont donné les grandes bases des connaissances que j’ai aujourd’hui.
  • À toutes les équipes éducatives et de locomotion qui m’ont offert tous les outils de la débrouillardise.
  • À toutes les personnes avec qui j’ai fait de belles rencontres.

À tous ces gens, je leur dis un grand merci. Un grand merci de m’avoir permis de grandir, de mûrir, de m’épanouir et d’être le professionnel que je suis devenu.

Sans oublier, celles et ceux qui ont eu la patience et la gentillesse de m’avoir relu pour chasser les fautes d’orthographes et les mauvaises tournures.

« Tout ce qui nous tue pas, nous rend plus fort »

A LAROQUE D OLMES JUIN 2024.