Saisine de l’Hadopi
La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, mieux connue sous le nom de Hadopi, a communiqué hier sur une médiation effectuée entre un éditeur et un organisme agréé autour de la mise en œuvre de l’exception en faveur des personnes atteintes d’un handicap. Le groupe Vigot Maloine, qui comprend la maison d’édition médicale Maloine, aurait ainsi refusé pendant plusieurs années de fournir les fichiers numériques de ses livres pour une adaptation à destination des personnes empêchées de lire.
Il s’agit d’une première, aussi bien pour l’Hadopi que pour l’organisme agréé qui a saisi la Haute Autorité, l’UNAKAM FRANCE, l’Union Nationale des Masseurs-kinésithérapeutes Aveugles Malvoyants de France. L’agrément de l’association, qui l’autorise à obtenir des fichiers numériques, à les adapter, ainsi qu’à les diffuser auprès de ces adhérents, a été renouvelé en 2010, et les autres éditeurs n’ont pas fait de problèmes.
L’Hadopi a procédé à l’audition des deux parties et du service concerné de la Bibliothèque nationale de France afin de dégager une solution assurant la transmission des fichiers souhaités sans risque de réutilisations abusives. Elle salue la bonne volonté dont ont fait preuve les deux parties pour aboutir à un accord adapté aux moyens dont chacune dispose.
Pour Vigot Maloine, que nous avons essayé de joindre, sans succès, il n’était visiblement pas question de déposer les fichiers sur PLATON, la plateforme dédiée de la Bibliothèque nationale de France, qui se charge ensuite de les reverser aux associations, assumant ainsi son statut de tiers de confiance.
« La situation durait depuis 5 ou 6 ans », nous explique Hortense Jean-Elie, présidente de l’UNAKAM FRANCE, association créée il y a près d’un siècle. « Nous avons contacté l’Hadopi il y a deux ans, et tout s’est déclenché rapidement vers octobre ou novembre 2015, dès qu’ils se sont saisis du dossier. Le travail a été très rapide, et le médiateur a très bien joué son rôle », ajoute la présidente.
D’autant plus que la situation était littéralement « bloquée » : les discussions se sont donc faites par l’intermédiaire de l’Hadopi. Visiblement, le refus de l’éditeur de fournir ses fichiers découlerait d’une peur du piratage, du partage et de la fuite des fichiers. « Nous ne pouvons pas être derrière chaque adhérent », souligne Hortense Jean-Elie. « Ils signent un document qui les engage à ne pas diffuser le fichier, mais nous ne pouvons rien faire pour garantir la sécurité. » Quand bien même, cela ne semble pas être le rôle d’une association à but non lucratif.
Ne pas y aller de main morte, surtout
Les ouvrages concernés concernent donc l’activité médicale, et sont indispensables aux kinésithérapeutes déficients visuels « pour leurs études ou leur formation. De plus, ces ouvrages présentent des schémas qu’il est impossible de lire sans description. » Impossible de s’appuyer sur l’offre papier, donc, pour ses kinés. Ou sur une offre numérique adaptée, d’ailleurs : Vigot Maloine n’en propose tout simplement pas.
L’adaptation est donc une étape nécessaire, qui permet de transformer des fichiers numériques souvent envoyés au format PDF, certes lisibles de manière adaptée sur certains smartphones, en fichier Word, plus accessibles.
Sollicitée par l’UNAKAM FRANCE, la BnF leur expliquait qu’elle n’avait pas les fichiers dans sa base. Pourtant, les éditeurs sont contraints de les déposer après toute demande d’un organisme agréé, comme le veut un décret de loi de 2008. Vigot Maloine était donc hors-la-loi en refusant le dépôt, ce qui explique probablement leur accord, après médiation de l’Hadopi. L’éditeur a expliqué qu’il verserait 5 livres par mois sur la plateforme de la BnF, pour rattraper son retard.
Rappelons par ailleurs que, pour pouvoir accéder aux fichiers, les usagers doivent présenter une carte d’invalidité en vigueur.
La loi Liberté de Création de Fleur Pellerin devrait permettre d’éviter, à l’avenir, ce genre de conflits si elle est adoptée, puisque les éditeurs seront tenus de faire parvenir à la BnF une version numérique de leurs titres lorsqu’une version accessible n’est pas disponible. Reste à préciser la notion d’accessibilité, qui semble encore floue, même pour des éditeurs d’ouvrages relatifs à la médecine…
Antoine Oury